Rencontre

Le type s'est assis en face de moi.

 "Je peux?"

J'ai acquiescé, même si j'aurais préféré rester seule. Il n’avait pas attendu ma réponse pour s’installer. C’était un homme de couleur, un homme sans âge, je n’arrive jamais à estimer leur âge, aux hommes de couleur… Et puis, à ce jeu-là, je ne suis en général pas très douée… Il devait avoir une quarantaine d’année, dirons-nous. Oui, une quarantaine d’année, ça ne me semble pas faux.

Silence. 
Il l'interrompt soudainement pour me demander:

"Vous faites quoi dans la vie?

J'ai eu envie de répondre dans la vie, je suis malheureuse. Je suis très douée pour ça, vous savez. Je ne sais pas, peut-être que c’est dans les gènes, ou une vocation, ce genre de choses. Mais si vous saviez comme je suis douée dans ce domaine, c’est incroyable ! Le malheur me colle à la peau comme une ombre qui suit chacun de mes pas. Mais vous comprenez, elles ne se disent pas, ces choses-là. Et puis il aurait demandé pourquoi, par politesse ou par curiosité, et je n'aurais pas pu, pas su quoi lui répondre. 
"Je suis en formation pour travailler auprès des jeunes enfants. Et vous?" ai-je demandé à mon tour plus par politesse que par réel intérêt.

"C'est un beau métier. Moi, je suis voleur. Mais je ne vole que les gens riches, les banques, tout ça, je regarde tous les films a la télévision pour apprendre de nouvelles techniques. Je ne vole pas les personnes qui n’ont pas beaucoup d’argent, seulement ceux qui en ont beaucoup trop ou qui en font commerce.

Moi, si j’étais voleuse, je ne volerais que des livres. Ils ont tellement plus de valeur que l’argent. Je les volerais tous, j’aurais une bibliothèque immense, une vraie librairie rien qu’à moi, et je lirais tout tout tout. Tout ces milliards de mots. Croyez-vous qu’on ait le temps, en l’espace d’une vie, de lire tous les livres qui méritent d’être lus ? Ou je volerais des sourires. Oh, oui, je volerais tous les plus beaux sourires que je croise, simplement pour me redonner du courage lorsque je n’en ai plus. Je serais voleuse de sourires et parfois, je m’assiérai sur un banc pour regarder les gens passer et je leur emprunterais leur vie, juste quelques instants…promis, juste quelques instants…

Il avait un drôle d'accent et je ne saisissais que des bribes de sa réponse un peu incongrue, et il riait si fort que je ne savais pas s’il parlait sérieusement ou non.

"Je ne risque rien, alors, ai-je souri.

 Il m’a tendu sa main :

"On parle, on parle, mais on ne s’est même pas présenté. Je m’appelle Barthélémy, mais tu peux m’appeler Bart. Et toi ?

 "Fantine. Enchantée

"Et dans la vie, qu’est-ce qui t’anime hormis ton travail auprès des enfants?

J’étais hésitante. Plus rien, tu ne vois pas encore, mais plus rien ne m'anime. Je me meurs en silence.

L’écriture. Et le théâtre. Je vais devoir y aller d’ailleurs, mon cours va bientôt commencer. Je n’ai plus que cinq minutes à vous accorder.

" J’espère que tu as compris que je plaisantais, tout à l’heure, quand je t’ai dit que j’étais voleur…

Il souriait si fort. 

"Je travaille dans l’agronomie. Mais je m’intéresse aussi beaucoup à la psychologie et à la philosophie. Si tu es d’accord, j’aimerais bien que l’on se revoit pour discuter. Tu me parleras de théâtre et des enfants, et j’aurais peut-être aussi quelques petites choses à t’apporter…"

Je crois que les rencontrent forgent une vie, qu’elles la construisent. Alors j’ai dit oui d’accord, même si je pense que je ne le reverrai jamais.

Il a pris mon numéro, j’ai dû lui écrire mon prénom, F-a-n-t-i-n-e. J’ai rangé mes affaires, je lui ai adressé un signe de la main et j’ai dû courir pour ne pas être en retard à mon cours de théâtre.  Je suis arrivée toute essoufflée mais tout de même, quelle drôle de rencontre. Dans la soirée, mon portable s’est allumé pour afficher un texto. Je ne retiendrai que ces mots-là « t’es une fille gentille ».

 

Merci et bon vent, Bart le voleur.

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