Rien de grave

"Fantine, tu as peur des mots."

Et la terre tourne autour de moi. 
J'ai le cœur qui chavire. 
S'il savait, en disant cela, qu'il touche à l'essence même de ma vie. J'ai du mal à les dire, les mots, ces mots là plus précisément, dire Je tiens à toi, ces quatre petits mots, dire J'ai besoin de toi, l'avouer, accepter l'amour et ne pas craindre l'emprisonnement, tel un oiseau qui prendrai le risque de s'approcher de la main de l'Homme. Les mots meurent en atteignant mes lèvres, il est tellement plus simple de les écrire et c'est une lâcheté, peut-être, que de se cacher derrière l'écriture.

Mais dire, je ne sais pas.

 

Il y a eu... 

...le goût amer que laisse le sentiment d'avoir été trahie. A elle pourtant, je lui ai dit des choses. Elle m'y a invité, tout en douceur. Et je me suis laissée porter par ce sentiment de bienveillance qu'elle m'inspirait. Je me suis laissée trahir. Je lui ai offert ma confiance, ce don-là, l'un des plus précieux sans doute, j'ai raconté des bribes de ma vie, par petits morceaux, je lui ai offert ma vie. Offrir sa confiance, on dit cela, je crois. Et parfois, on fait le constat décevant que les mots déposés n'étaient pas des confidences. On réalise que notre parole n'était pas reçue, pas interprétée comme on l'imaginait. Que l'empathie n'était en fait que du jugement. 

Trahie et déçue. Se laisser trahir. Ce goût amer dans la bouche, celui de l'hypocrisie. Cette envie de hurler. Se promettre de ne plus jamais faire confiance. Méchante!. Cette envie de pleurer. J'ai tant de mots en ma possession et c'est cette  seule expression-là qui me vient pourtant, Méchante!, comme une enfant désarmée qui peinerait à se défendre. Je ne crois pas avoir appris, à me défendre je veux dire. A laisser glisser non plus, à ne pas recevoir en pleine figure. Louper l'arrêt de métro, la tête embrumée et le cœur meurtri. Méchante!, et cette remarque qui n'en finit pas de tourner. Trahie. Qui sont vraiment les gens que l'on imagine ? Qui sont-ils réellement ?

Il y a eu...

...Victor. Je voulais parler de toi, aussi. Ici ce soir, je voulais parler de lui. C'est difficile parfois de me comprendre. Quelquefois, même moi je m'y perds, c'est dire. Je ne me suis pas encore trouvée que je me perds à nouveau dans les méandres de mon être, quelle idiote. Mes pensées avancent, reculent, se contredisent parfois. Mes idées filent, je les attrape au vol ; l'écriture m'aide à me canaliser, à apprendre. Et surtout, l'écriture laisse une trace de moi à un instant t, elle me permet d'évacuer et de comprendre ce qu'il se passe dans mon esprit à ce moment-là et la plupart du temps, j'y vois un peu plus clair ensuite. Mais toi, tu essaies de comprendre celle que je suis, malgré toutes ces contradictions que tu peux lire en moi. Tu es tolérant et tu essaies, et jamais je ne pourrai t'être suffisamment reconnaissante pour cela.
"Buongiorno, amore." Depuis la lecture de ce livre (Laver les ombres - Jeanne Benameur), il m'arrive d'imaginer les mots en italien. Et quand je te l'écris, je le pense dans une autre langue, une langue inconnue et si chantante. J'imagine les mots, je les laisse naître. Quand je me le dis, je te l'écris en français : Bonjour, amour. Puis je l'efface, je n'envoie rien, Bonjour tout seul, ça engage moins. Preuve, une fois de plus, de mon incapacité à me laisse t'aimer. Parce que la peur de perdre est dévorante, omniprésente.

Il y a eu, aussi...

...les larmes enfouies dans l'oreiller en regardant Alabama Monroe et les chansons du film que j'écoute en boucle, désormais. Cette lumière jaune qui est entrée par mes fenêtres un soir, le ciel gris et les nuages menaçant d'une nuit d'orage qui s'annonçait. Le sourire de Florian revenu de Genève tout spécialement pour le festival des 24 heures de l'insa. Le cauchemar qui a semblé durer des heures le jour de la fête des mères : maman meurt, on le sait et on ne peut rien faire, il lui reste quelques semaines et on ne peut rien faire, le cancer est revenu et les médecins l'ont vu trop tard, maman se meurt et on doit simplement attendre, attendre que la mort l'emporte. Et toute cette colère tue jusqu'alors, vingt et une années de colères refoulée qui rejaillissent, je vous laisse imaginer. Et cette tristesse, immense, immense car maman va mourir et que l'on ne peut rien faire. En plus, il y a quelques jours, j'ai perdu un bracelet auquel je tenais beaucoup. Cadeau de ma maman et de ma sœur pour mes seize ans, un fin bracelet en argent qui liait quatre cœurs les uns aux autres. Ma sœur venait de quitter la maison, mais il y avait, à mes yeux, ce symbole, ce geste pour me prouver que nous étions encore quatre, unis, malgré tout. Malgré la vie qui va, le temps qui défile et les personnes les plus chères qui s'éloignent. Même si, quelque part je le savais déjà, plus rien ne serait jamais comme avant. Depuis quatre jours, le bracelet n'est plus à mon poignet et je touche l'absence, le lieu où il était, le lieu où il devrait être, je le touche en permanence. J'ai cherché partout, secoué les draps et scruter chaque espace : il n'est pas là, jamais. Plus récemment, les résultats des élections qui renforcent mon questionnement sur l'humanité et, moi qui m'intéresse si peu aux élections, qui est si ignorante de la politique, malgré tout, je suis outrée. Outrée par l'imbécilité des gens et ce qu'ils n'ont pas retenu de l'Histoire et de la monstruosité dont est capable le genre humain. Outrée qu'autant de personnes puissent partager des idéaux qui sont si loin de ma conception de l'Etre Humain à moi. Outrée, même, ne serait-ce que ce genre de raisonnement existe. Et puis malgré cela il y a des petits lumières, comme le film documentaire dont je partage avec vous la bande-annonce ci-haut : "Ce n'est qu'un début". Parce que je crois que l'avenir est possible, autrement.

 

 

Cet après-midi, je doute. J'ai commencé cet article il y a quelques jours déjà et je l'avais intitulé "Caresser l'espérance". Je le renomme, ce soir, parce que je peine à y croire. Cet après-midi, je doute. De ma vie et de ce qu'elle représente. De cette vie et du sens que lui donne. Ce soir, je doute même que tout cela aie un sens. Et puis, je me force à penser aux choses qui, à mes yeux, ont du sens. Aux minuscues instants, aux personnes qui, d'une manière ou d'une autre, m'atteignent. Dans le bon sens, je veux dire. Aux choses qui me touchent, qui me font sourire, aux rares choses auxquelles je tiens. Je pense à cela pour ne pas me perdre dans le reste. J'énonce. Mme M. et ses appels bimensuels, l'attente de ses mots et la chaleur de sa voix. Le groupe de théâtre, la troupe, nous les héros, même si l'aventure touche à sa fin et qu'il ne restera bientôt plus que le souvenir des moments partagés. J'énonce. Amandine et les mots échangés, quelques rayons de soleil, sa vie à elle et ma vie à moi, ici. Victoire, les morceaux d'elle qu'elle livre sur son blog, la justesse et la douceur de ses mots dont je me délecte. J'énonce. De temps à autre, une lettre d'un expéditeur inconnu et parfois, la douce surprise de me laisse attendrir et de voir naître sur mes lèvres un sourire. J'énonce. Maman, ma sœur, les copines de l'école. J'énonce. Victor, Maëla, Coralie. La réponse du mail envoyé à Lucie avant-hier, elle aurait été heureuse de me revoir, dit-elle. J'énonce. La petite boule de poils gris qui m'attends chaque soir derrière la porte d'entrée. J'énonce. J'énonce et je ne sais plus. Et puis il y a, tout de mêmesurtout, tous ces mots qui affluent et que je note, que j'annote, dans le métro, au coin d'une rue, tard le soir, tous ces mots dits et qui me marquent, et que je marque, pendant un cours, au cours d'une discussion, autour d'un verre, entre deux lignes, toutes ces pages de livre cornées pour que je n'en oublie pas le numéro, l'essence même d'une phrase, ce sens même que les mots ont pour moi. Il y a, je crois, surtout cela. Les mots dits et les mots tus, les mots chuchotés et qui me marquent, sans le savoir, à tout jamais. L'écriture sauve de tout, y compris de soi. Je crois. Je crois tant et je sais si peu. Et alors, je me dis à moi-même pour m'en convaincre une fois encore : ce n'est pas rien. Ces choses ne sont pas tout, ne comblent pas, ne réparent pas ce qui a été brisé, mais elles ne représentent pas rien. Mon blues de ce soir à la teinte bleu de Prusse et je me noie, mais demain matin, sans doute, je respirerai à nouveau. Non non rassurez-vous, rien de grave.

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