Peau à peau

Des étreintes abandonnées dans la douceur de la nuit, il était tard lorsque je l'ai imploré de venir. Il me demande pourquoi est-ce que je pleure, je n'ai pas su retenir les larmes qui coulent en silence, je n'ose lui avouer que je voudrais, à cet instant précis, mourir dans ses bras. Je réponds simplement : ne me laisse pas. On se chuchote mille fois que l'on s'aime et je me dis que cette expression ne suffit plus, qu'il faudrait inventer un autre mot, pour dire ce sentiment là. On respire dans le souffle l'un de l'autre, on s'endort main dans la main et on dort tour à tour dos à dos, corps contre corps, coeur à coeur. Au matin, j'appose mon index droit sur sa fossette, celle qui me fait sourire et qu'il tente de faire disparaître en prenant l'air sérieux, il suffit que je lui fasse remarquer que cet air-là ne lui ressemble pas pour qu'il sourit et qu'à nouveau, inévitablement, le petit creux sur sa joue se redessine.

Je conjugue le verbe aimer, à tous les temps, dans tous les lieux. Je le conjugue pendant que mon amour pour lui grandit, qu'il prend une autre forme et que j'accepte -un peu, mais c'est déjà immense- de lâcher prise. Le chemin de l'acceptation est encore long, je le sais, je n'en mesure sans doute pas l'ampleur. Le chemin de l'acceptation de soi, de me voir comme une femme dans son regard, rien que ce mot-là me fait frissonner, une femme, accepter d'en avoir le corps. Il faudra que le regard qu'il pose dessus, aussi bienveillant soit-il, cesse de me faire tant de mal. Accepter de pas être qu'Un, je commence tout juste à me rendre compte qu'il ne peut pas penser comme moi, que nous sommes différents, que chacun l'est, qu'on ne peut pas espérer se retrouver entièrement en l'Autre et que construire sa vie là-dessus est une quête perdue d'avance. Ses mots qui me violentent au-dedans et qui ne sont souvent que de la maladresse. On est si différents, lui et moi, sur tout un tas de choses qui n'ont peut-être pas autant d'importance qu'on pourrait le croire, on est si différents et pourtant lorsque je me glisse entre ses draps, entre ses bras l'avant-dernier jour du mois d'Août, un samedi dont la nuit a été pour moi épouvantable, lorsque je le rejoins le matin après m'être extirpée du lit et que je me glisse près de lui, je me dis que c'est le bonheur le plus grand. Cet instant de bonheur est immense et il dessine un sourire sur mes lèvres alors que je me rendors.

Le temps d'un trajet, j'ai relu un livre que j'avais oublié et que j'ai retrouvé dans ma bibliothèque. Se résoudre aux adieux. Il m'a beaucoup touché, plus qu'à la première lecture, assurément, car je me suis reconnue en Louise. Cette jeune femme qui, après qu'on l'ai laissée, ne parvient pas à se résoudre aux adieux. C'est une histoire d'amour et pourtant il a résonné bien plus loin que cela en moi (que la relation amoureuse, au sens strict du terme). Il m'a parlé de tous ces amours, aussi multiples, dévorants et infinis soient-ils. Il y a tellement d'amours différents, il ne me comprend pas lorsque je lui dis que de deux personnes, je n'en aime pas une plus que l'autre, mais que je les aime de manière différente.

"J'ai décidé de t'écrire, plutôt que rien. Plutôt que de rester là, comme ça, dans le silence. Que je te dise : je me suis honnêtement, sérieusement essayé au silence, je l'ai endossé comme on se glisse dans un vêtement, je m'y suis livrée comme on accepte une astreinte. (...) En fait, j'ai pensé que cela me sauverait. Mais le rien-dire ne sauve pas, enfin disons que, moi, il ne m'a pas sauvée. Je crois même qu'il m'a enfoncée un peu plus dans la tristesse, le chagrin. Pour être tout à fait honnête, il m'a dévastée car il peuplé d'images, le silence, de souvenirs impossibles à chasser. (...) Et puis, dans le silence, on est sans défense : les assauts n'en sont que plus blessants." 

Et puis, à la fin du roman (à ceux qui voudraient le lire, cachez vos yeux pour les deux prochaines lignes !), Louise tourne la page. Je ne suis pas certaine que dans la vraie vie, dans ma vie à moi, les choses se passent ainsi. Je suis une éternelle attachée.

 

Face à lui, souvent, je redeviens une enfant. Celle que je n'ai jamais cessé d'être sans doute, une enfant sans défense qui mendie des baisers et donnerait tout pour une dernière caresse, une enfant qui pleure dans le noir parce qu'elle se sent abandonnée, parce qu'elle a peur d'être laissée, ici, demain ou un autre jour, parce qu'elle veut être aimée, préférée, elle veut l'entendre dire, Je t'aime, et ca ne suffit pas pourtant, elle voudrait des preuves, d'amour, incessantes, constantes, qu'il lui chante à longueur de journée, Je t'aime, qu'il l'embrasse jusqu'à plus d'air, qu'il ne lâche jamais sa main, jamais, qu'il embrasse ses larmes et promette, plein d'assurance, un demain plus beau. Et même cela je le sais, ne suffirait pas, il faudrait plus, toujours. Dans ce monde pourtant où il n'y a que le contraire, l'exact opposé, de l’impermanence, des absences, qui finissent par n'être qu'un immense chaos, un cœur blessé, une âme délaissée. J'implore, je supplie, la peur est dévorante. Je lui en demande beaucoup trop. Il y a cette autre que je jalouse et pour qui j'ai de la peine, il n'y est pour rien, à son amour à elle, l'amour qu'elle a pour lui, j'en suis certaine et cette pensée me rend folle, je pleure à n'en plus finir et il ne sait quoi me dire, il n'y est pour rien et je suis persuadée qu'elle l'aime, un sentiment pur, et je sais comme on ne peut lutter contre ces sentiments quand ils sont là et qu'ils nous habitent, plus forts que tout, plus forts que la raison. Je crois, je sais qu'elle l'aime et qu'elle ne lui dira pas, car elle le sait amoureux de moi et qu'elle ne veut blesser personne, mais je sais aussi que ça ne disparaîtra pas et j'ai peur, j'ai peur qu'il me laisse et je suis peinée pour elle, cet amour qu'il ne peut lui rendre car il dort à mes côtés. Dans la nuit j'embrasse ses paupières, je crains de le perdre, et ça me terrifie. 

 

J'ai peur, j'ai peur à en crever, à y laisser ma peau, ce qu'il en reste, il y a ma peur, au creux de la poitrine, au creux du corps, au cœur du coeur, et je dois être plus forte qu'elle pourtant.

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