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De minuscules flocons tombent du ciel, si petits qu'on pourrait les croire pour de faux. C'est tout ce qu'il reste de la magie : quelques flocons de pacotille qui sont en retard pour Noël. Voilà ce que ça fait, de devenir adulte : ça brise les rêves en deux. D'un coup sec. Ça vous laisse le ventre à terre, les doigts gelés avec l'envie de pleurer. Cette année,  l'amertume a un goût plus âpre encore que d'habitude. Il faut dire que chaque année, la Vie est moins indulgente avec nous. À vous, je vous l'avoue, j'ai peur du 12 Janvier 2015. J'ai mal à ma maman. J'ai mal au cœur. A m'en donner la nausée.
Il neigeote depuis ce matin, mais le paysage reste gris goudron : dans cette grande ville, le blanc ne tient pas. Chez moi, on redoutait la neige pour cela : parce qu’elle faisait du paysage blanc un terrain dangereux.

Je suis de retour à Lyon pour quelques jours, la solitude m'enlace de ses bras décharnés et m'enserre jusqu'à l'étouffement. Je suis rentrée pour ma petite boule de poils, et elle me le rend bien, mais. Mais ces quatre jours sont longs, et douloureux, et. Et ses câlins de nuit ne suffisent pas. Je suis revenue avant-hier au soir, j'ai été malade toute la soirée dans l’attente que le sommeil vienne me prendre et m’accorde quelques heures loin de moi. Hier est un jour qui n’a pas existé : le soir était déjà tombé lorsque je me suis réveillée avec cette sensation de m’extirper d’un coma long de plusieurs années. Une journée de rien qui s’est écoulée sans moi, hors du temps. Aujourd’hui, je me décide : ce qui me cloue au sol n’aura pas raison de moi. Je m’habille comme pour un voyage en Arctique, rien ne me réchauffe : ni les vêtements, ni le chauffage, ni l’eau brûlante qui laisse ma peau couleur rouge vif. J’écris à J., à l’autre bout de la France. Mon amoureux se plaint que je suis silencieuse. Que peut-il comprendre de ce silence ? Je ne trouve pas les mots pour lui expliquer, ne serait-ce qu’essayer, que tout ce que je lui écris, je l'efface car ce sont des choses qui ne veulent rien dire. Qui n'ont aucune importance face à ce que je vis. Et que, lasse de faire semblant, je préfère le silence. Je préfère me taire que de parler de choses qui font partie du monde des vivants et dont je ne saisit plus l'importance ou l’intérêt.

Je vais jusqu’à la boîte aux lettres, j’ai perdu le fil du temps et oublié que nous sommes dimanche et que le facteur n’est pas passé. J’y trouve un petit paquet, pourtant, et quelques mots que J. m’a écrits. Un joli sujet : un soldat blanc comme neige et droit comme I majuscule. Elle annote : vaille que vaille. La lutte, toujours. Mais aussi l’espoir. Tout ira bien, hein. Je le suspends au-dessus de l’endroit où ma tête repose lorsque je dors, pour qu’il puisse veiller. Vaille que vaille.

 

Je me dis : il faudrait. Il faudrait que je travaille, il faudrait que je fasse telle et telle chose. Finalement, je mets deux écharpes, des guêtres et des gants de laine et je sors affronter le froid. Je mets, aussi, ma nouvelle petite barrette à grelots qui, à chaque pas, rappelle aux oreilles qui veulent bien l'entendre que je suis là. Debout, malgré tout. Je me réfugie dans le cinéma de la rue d’à côté et me pelotonne dans l'un de ces grands fauteuils de velours rouge. Le froid ne disparaît pas. Je me laisse embarquer. Je prends la mer le temps d'une heure et demie. Et le film est beau. Il parle d’amour. De l'Océan. De tout ce qui me déboussole. Le temps d’une heure et demie, je ne suis plus là. Et c’est tant mieux.
En sortant, je vais dans la vieille ville pour acheter une guirlande lumineuse pour suspendre autour de mon lit. Mon lit-cabane, mon lit-navire, mon lit-refuge, mon lit aux six oreillers, mon havre d’abandon.

En rentrant, j'achète une carte pour souhaiter de belles fêtes à Mr A., pour lui dire que je ne l'oublie pas. Je peine à choisir : je le connais si peu. Je rentre avec une carte qui n'est pas une carte de vœux et qui plus est, ne représente pas Lyon mais Paris. Une vraie carte de touriste. J'ai un peu honte d'être si déboussolée. 

 

Pardon. Les mots sont alignés un peu au hasard, ils ne sont pas choisis avec soin comme d'ordinaire. Mais j'avais besoin de dire, j'avais besoin surtout de ne plus me sentir si seule. De vous savoir là, à me lire. Merci.