Livre-toi

Diane Arbus photographies

On dit : se livrer. On dit : délivrer. Les livres servent à cela, et ce rapprochement dans les mots me fait sourire. L'autre jour autour d'un café, je lui avoue tout bas : je crois que si je n'avais pas eu cette vocation pour travailler auprès des enfants, je serais devenue libraire. Elle me répond c'est drôle, ce n'est pas la première fois qu'une éducatrice de jeunes enfants me dit cela. Comme si, d'une certaine de manière, enfants et livres étaient liés. Je le crois : ils sont de ces choses qui délivrent. On parle quelques minutes du minuscule bonheur que de toucher les pages d’un livre et de cette odeur si particulière du papier. Le même soir, un homme d'un certain âge s'assied à la place libre à côté de moi dans le métro. Je suis toute entière absorbée dans mon livre, je ne vois rien du monde autour lorsque sa voix brise mon silence. La couverture du livre que vous lisez est très belle... Quel est ce livre ? Je lui souris, je réponds à ses questions et. Il m'avoue qu'il n'arrive plus vraiment à lire, ou alors quelques articles par-ci par-là, que sa concentration n'est plus celle d'autrefois. En se levant, il prononce cette phrase-là, comme un au revoir : Vous avez de la chance de lire. Car c'est cela qui permet de s'évader et de se sauver. Quelque chose comme ça. Peut-être que je me souviens de la manière dont j'ai envie de me souvenir. Mais le message était là : les livres sauvent. Et c'est si vrai.

 

Je pense à tous ces titres de livres qui m'ont marqués. Une part de ciel, Réparer les vivants, Le pays sans adultes, Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, Rien de grave, Inassouvies, nos vies, Nous étions faits pour être heureux, Légère comme un papillon, Féerie générale, Puisque rien ne dure, N'oublie pas d'être heureuse, Nouons-nous, Se résoudre aux adieux, Nous irons cueillir les étoiles, L'élégance du hérisson, Mes mauvaises pensées, Les gens heureux lisent et boivent du café, La dérive des sentiments, La délicatesse, Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi, Elle n'était pas d'ici, Laver les ombres, Soie, La fabrique du monde, Ce que je sais de l'amour. Je n'ai pas changé l'ordre dans lequel ils me sont revenus en mémoire ou dans lequel je les ai retrouvés griffonnés sur un papier. Je ne l'ai pas changé parce que je crois que tout a un sens et que cet ordre-là vient dire quelque chose. De la vie, de la mienne sûrement, de ce que j'en comprends. Je ne l'ai pas changé, cet ordre, car ces titres racontent presque une histoire si l'on sait lire entre les lignes. Et que peut-être que c'est de mon histoire à moi qu'il s'agit. Ces titres font partis de ceux qui ont résonné en moi et j'aurais tant aimé que ces mots-là, qui me paraissent si purs et si sincères, si vrais et si beaux, soient les miens.

Hier matin, après une journée de nuit noire et une nuit de cauchemar, après trente-six heures dans un sommeil comateux, un temps étrangement flou, étrangement lointain et qui fait pourtant si mal, j'ai découvert un mail d'A. J'avais rêvée de son visage, d'un voyage autour du monde et de nos retrouvailles là-bas, sur sa terre à elle, celle qu'elle a choisi. J'ai souri en me disant que la Vie sait user de jolis signes, parfois, pour nous dire que tout n'est pas perdu. Que nous ne sommes pas seuls, malgré le brouillard autour des cheveux, les cernes sous les yeux et les mains glacées. Malgré le fait que je n'aurai pas eu de réponse à donner à mes collègues sur le pourquoi de mon absence. Qu'il me faudra, à nouveau, user de mensonges. Ce matin-là, je redresse la tête, je prends conscience de chaque partie de mon corps, je dessine sur mon visage un petit sourire, un faux mais tant pis, un sourire en carton pour faire croire à un bonheur en toc et je me rends en cours. Je discute un peu et j'ai envie de pleurer, je ris à des blagues qui me donnent envie de hurler, je m’éclipse pour m'isoler et terminer les derniers mots de mon roman d'Olivier Adam cachée de tous. Le renard gratte, au sang parfois. J'avale les petits cachets blancs comme des bonbons à la menthe pour le faire taire mais rien n'y fait. Je me réfugie dans les salles sombres de cinéma pour fuir le temps de quelques heures ce monde qui me donne la nausée. Cette vie qui n’est plus la mienne depuis longtemps déjà. Assise dans un fauteuil rouge et entourée d'inconnus, j'ai visionné les pingouins de Madagascar, la famille BélierMommy, The grand Budapest Hotel, Interstellar et très récemment, Wild. Je pleure au creux de mes draps et j'envoie des mots durs, des mots qui font peur, des mots de peur à J., de l'autre côté de la France et qui me semble pourtant si près. Elle qui m'envoie un dimanche soir cette citation qui ne cesse de me revenir : Le vent se lève, il faut tenter de vivre. 

Je peux aussi vous parler du ciel menaçant, du gris qui ne laisse passer aucune lumière, de la nuit en pleine journée, des milliers de gouttes qui tombent du ciel. Des rendez-vous manqués, des cours de théâtre où je ne suis pas allée, du réveil que je n'entends plus sonner, du quotidien que je fuis, de la peur du chiffre sur la balance, de ma migraine permanente. De cette vie qui m'échappe un peu plus de jour en jour. 

De cette la sensation étrange d'être immobile dans un monde en mouvement. De cette impression de ne pas bouger à la même vitesse que les autres.

 

De Janvier qui ne tient aucune de ses promesses.
Des semaines en apnée et malgré l'oxygène qui me manque, de l'obligation de rester debout. Vivante, pourrait-on dire. Pourrait-on croire.

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