Chroniques de gares (jour un)

27/09/2016, 16 :50, gare de Bordeaux, hall 1
La fille est assise sur l’une des rangées de chaises, dans la lumière de la verrière. Elle est courbée pour écrire sur un carnet ligné – je ne me souviens jamais des formats-, un stylo noir dans la main droite. Le carnet est posé sur un petit sac à main en cuir. Elle est assise, les pieds croisés, le dos voûté et la mâchoire serrée. Elle porte des baskets roses, un vieux jean et un pull en laine blanc cassé. Sur son pull, une tâche de café. Ses cheveux sont déliés, indisciplinés. Ils lui arrivent à hauteur des épaules et ont une couleur banale. Elle s’arrête, regarde en l’air puis reprend son travail d’écriture. A son poignet droit, deux bracelets : une gourmette à son prénom et une chaîne fine en argent qui relie quatre petits cœurs. Cette fille-là, c’est moi ; je ne sais pas si quelqu’un l’a regardée. 

 

 

27/09/2016, 17 :17, gare de Bordeaux, boutique Relay hall 1
Elle sort du couloir qui mène aux quais. Elle revient de quelque part. Vingt-cinq ans, peut-être. Un pantalon rouge. Joli chignon. Cheveux châtains. Visage fin, doux mais sans sourire. Elle rentre dans la boutique Relay sans hésitation. Elle marche jusqu’au rayon des magazines, feuillette le dernier numéro de Neuf mois. Peut-être est-elle enceinte, si c’est le cas c’est le tout début. A la voir de plus près, elle a peut-être trente ans ; il y a quelque chose d’adulte dans son visage pourtant lisse. Elle porte une bague en argent à l’annulaire gauche. Du bout des doigts, elle parcourt les magazines de couture. Elle sort de la boutique sans rien acheter, il s’est écoulé neuf minutes depuis celle où je l’ai regardée pour la première fois. Ses deux sacs semblent peser lourd. Son visage est fermé, elle paraît centrée sur elle-même. Elle ne sourit toujours pas. Je n’ai pas d’image d’elle, juste une trace du lieu de son passage.

 

 

27/09/2016, 17 :19, gare de Bordeaux, terrasse de la brasserie Le Grand Comptoir
Je ne saurais pas lui donner d’âge. Ses cheveux sont blancs, sa barbe aussi. Son visage m’attendrit. Il est bien habillé : une chemise grise et une veste de costume légèrement plus foncée, un pantalon noir et des baskets de la même couleur qui dénotent avec l’élégance du reste. Il boit un sirop de menthe (à moins qu’il ne s’agisse d’un diabolo ?). Il est concentré sur l’ordinateur posé sur la table devant lui. Son visage me paraît triste. Il prend son téléphone pour appeler quelqu’un, j’imagine une femme, la sienne, à l’autre bout du fil. Je sais maintenant qu’il va à Bergerac, qu’il prendra le train à 18h05 pour y arriver à 19h28, et qu’il lui faudra trente minutes supplémentaires pour rentrer chez lui. Il allume une cigarette et son regard se perd dans le vide. Je me demande à quoi il pense. Je réalise soudain qu’il est gaucher. Sur ses mains, il y a de minuscules taches brunes. Je constate lorsqu’il se lève, ou plutôt je devine dans sa posture, qu’il est plus âgé que je ne l’aurais cru. Il prend son imperméable, sa sacoche d’ordinateur et il part. Pour lui, j’imagine le doux prénom de Jean.

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Commentaires: 2
  • #1

    Funambule (mercredi, 28 septembre 2016 08:32)

    C'est mignon ces petites vies imaginées! Hâte d'en lire de nouvelles !

  • #2

    tanie sex telefony (vendredi, 08 septembre 2017 15:50)

    triumfatorsko