Pour mémoire

 

C’est dimanche, l’air est doux et le ciel gris, les enfants assis aux terrasses des cafés attendent en sirotant leur grenadine que les rayons de soleil percent les nuages.

Je marche sans savoir vraiment ce que je cherche.

 

Sur la plus grande place de la ville, l’odeur de la barbe à papa. Je me revois, un soir, je cours dans l’herbe près de la salle des fêtes du village avec ma sœur. Nous partageons une barbe à papa, elle est rose. Je ris, je crois que je suis heureuse. J’ai sept ans.

Sur cette même place, quelques mètres plus loin, le parfum des glycines en fleur. Les fleurs de cerisier fanées qui tombent de ciel comme des flocons de neige. C’est comme si je marchais dans le jardin de la maison de mon enfance.

 

Je me tiens devant la porte close. Elle est bleu pâle.
Lorsque j’ai besoin d’être consolée je viens ici, dans ce musée, devant cette porte.
J’aime bien prononcer son nom : Boltanski. Je l'articule. Les consonnes font râper la langue contre le palais. Je suis trop petite pour bien voir l’intérieur de la pièce par le fenestron, je me hisse sur la pointe des pieds. Le tout petit espace ressemble à placard à balais. Il rassemble des objets ayant appartenu à C.B., dépositaires de souvenirs vécus ou inventés. De nombreuses photographies sont accrochées au mur. Quelques objets, dans une vitrine. Du plafond pend une ampoule nue.

Lui qui longtemps a dit avoir oublié son enfance, et qui fit de cet oubli la matière du travail à venir.

L'enfance, la mémoire, les souvenirs, l'identité. Lui qui reconstitue.

Peut-être qu'un jour, j'écrirais sur ce qui me lie à lui.

 

Sur le chemin du retour, des effluves de lilas. J’ai envie de pleurer. Je questionne ma sœur, par téléphones interposés, qui m’assure que nous avions un lilas magnifique dans le jardin de la maison. Tu es sûre ? je demande. Elle insiste, mais oui, près de la balançoire. Je n’ai aucune image de ce lilas, mon corps ne se souvient que de son odeur. En raccrochant le téléphone, je pleure.
Ma mémoire est un inventaire de parfums qui me bouleversent.

Si les souvenirs me font parfois défaut, la mémoire du corps, elle, reste.

 

J’entends tomber la pluie par la fenêtre de ma chambre restée ouverte.
J’ai allumé la bougie qui exhale son parfum.
J’attends, le corps recroquevillé, que mon cœur se calme.
Comme j'aimerais retrouver mon enfance. Avoir une mémoire qui ne soit pas fragmentée.

Comme j'aimerais savoir qui je suis.

J'ai honte d'être si jeune et de me souvenir si peu de ma propre vie.