ljust mörker - obscurité lumineuse

 

Il y a eu deux escales, la première à Paris et la seconde à Amsterdam, ces villes connues dont cette fois-ci nous ne verrons rien puisque notre destination se situe bien plus au Nord, il a même dit en souriant, avant de nous laisser sur le parking de l'aéroport : bon voyage dans le grand Nord, les filles.

Là-bas pourtant nous comprendrons vite que nous sommes dans leur Sud à eux, malgré la pluie, malgré le froid, malgré la nuit.

nous sommes pour quatre jours dans le sud du grand Nord.

 

Il y a eu, lorsque l’avion a atterri, quelques voix qui se sont écriées dans un français chantant aux r roulés Bravo!, et ces deux syllabes sûres d’elles se sont mêlées aux applaudissements timides.

 

Il y avait cette petite fille aux yeux cernés et aux cheveux très blonds qui avançait droit devant elle, et sa sœur qui appelait quelques mètres derrière : Adèle !

 

(dans cet avion, j'ai pensé, dans cet avion se côtoient ceux qui partent et ceux qui rentrent)

 

Il y avait dans l’entrée immense et luxueuse de l’hôtel des lumières par milliers, un sapin décoré et des doigts virtuoses qui jouaient tour à tour sur le piano verni des mélodies de Noël.

 

Il y avait au buffet du petit-déjeuner cette autre petite fille, toute aussi blonde, qui virevoltait de table en table pour lancer des heyhey joyeux et sincères, saluant droit dans les yeux chaque inconnu qu’elle croisait.

 

Il y avait les façades d’immeubles où chaque fenêtre éclairée nous laissait découvrir des abat-jours en forme d’étoiles, des guirlandes, des chandeliers. Je pensais alors : la nuit et le froid dehors, la lumière et la chaleur dedans.

 

Il y a eu la magie de Liseberg et mon émerveillement devant ce lieu immense de l’enfance, nos quatre yeux écarquillés qui brillaient devant les lumières extraordinaires et ne sachant plus où regarder, les bonhommes de neige, les chants de Noël et mon corps grelottant et sautillant comme celui de l'enfant que j'étais redevenue.

 

Il y a cette merveilleuse et réconfortante coutume suédoise, le fika, toute cette cannelle sur mes doigts, les perles de sucres sur les kanellbulls et nos mains enroulées autour des tasses de chocolats chauds.

 

Il y a eu ce petit morceau d’océan traversé avec elle, et sur cette île presque déserte la nature époustouflante, marcher sans savoir où nos pas nous menions, la douceur de nous laisser porter, il y a eu nos mots sur la vie, la vie immense et surprenante, douloureuse parfois, les choix que l'on fait et ce à quoi l'on renonce, il y a eu l’heure d’or sur la plage et le coucher du soleil au-dessus de l’eau, nos yeux et nos cœur grands ouverts (et mes pensées sans mots, à me retrouver là).

 

Il y a eu, lors d’un déjeuner en terrasse dans l’air froid, la petite noisette qui tombe du sommet de mon biscuit et roule au sol, et quelques minutes plus tard un, puis deux, puis trois moineaux qui viennent en faire leur déjeuner. Ils sautillent puis s’envolent avec la noisette comme ils sont venus : sans un bruit.

 

Il y a eu un matin gelé et les animaux du Grand Nord. La brume sur le parc immense. Mes pensées pour ce petit garçon que je côtoie et qui parle des rennes avec le même sourire qu'arborent d'autres lorsqu'ils parlent de dieu.

 

Il n’y a pas eu la neige annoncée, je m’endors pourtant le dernier soir en imaginant qu’à mon réveil tout sera blanc, je m’endors heureuse, impatiente, et les yeux à peine ouverts je saute du lit et me précipite à la fenêtre pour tirer les rideaux. Le bitume est mouillé mais toujours gris, je soupire et souris, tant pis, je dis un peu déçue, tant pis ce n'est pas très grave, car je sais désormais que quelque chose de l'impatience heureuse de l'enfance est encore possible.

 

Il y a nos mots sur le chemin du retour, je lui dis que je me sens triste de partir, que j'ai toujours éprouvé ce chagrin des départs, et toi alors, je questionne, toi aussi ?

Elle demande en réponse : tu as l’impression de laisser des morceaux de toi dans chaque endroit que tu quittes ?

Je hausse les épaules, je ne sais pas, je lui réponds qu’en laissant derrière moi j’ai l’impression de renoncer à quelque chose.

Elle clôture en m’assurant qu’elle est heureuse, elle, d’avoir vécu ces quatre jours ici avec moi. Et qu’elle est heureuse aussi de rentrer.

Et moi je me dis, en silence, que j’ai beaucoup à apprendre d’elle.